La violence conjugale est un fléau qui frappe dans l’ombre. Ses conséquences dévastatrices sur les victimes, leurs proches et la société sont encore trop souvent ignorées ou minimisées. Pourtant, les chiffres parlent d’eux-mêmes : en France, chaque année, près de 220 000 femmes sont victimes de violences physiques et/ou sexuelles de la part de leur conjoint ou ex-conjoint.[1] Et ces violences ont des répercussions à tous les niveaux.
Au niveau personnel : une souffrance physique et psychique intense
Sur le plan personnel, les conséquences de la violence conjugale pour les victimes sont dramatiques. Au niveau physique d’abord, avec des blessures pouvant aller de simples ecchymoses à des fractures, brûlures, plaies profondes ou même décès. Les urgences médicales et hospitalières prennent en charge chaque année entre 18 000 et 75 000 femmes victimes de violences conjugales.[2]
Mais les dégâts sont aussi et surtout psychologiques. Stress intense, angoisse, dépression, troubles de l’alimentation ou du sommeil, idées suicidaires… sont le lot quotidien de ces femmes brisées. Certaines développent un véritable syndrome de stress post-traumatique, similaire à celui des anciens combattants. Cet état permanent d’hypervigilance et de peur a des conséquences délétères sur leur santé. Leur espérance de vie en bonne santé peut être réduite de 4 à 5 ans.[3]
Zoom sur 3 conséquences psychologiques majeures
- La souffrance émotionnelle : perte d’estime de soi, honte, culpabilité, désespoir, colère refoulée… La violence conjugale plonge les victimes dans un profond mal-être émotionnel.
- La confusion mentale : l’alternance de moments de violence et de répit, doublée de manipulations perverses de la part du conjoint violent, provoquent une intense confusion mentale chez la victime. Elle peut aller jusqu’à douter d’elle-même et de la réalité des faits.
- Le psychotraumatisme : de nombreuses victimes développent un état de stress post-traumatique, avec des troubles dissociatifs (pertes de mémoire, déréalisation), une hypervigilance permanente, des troubles du sommeil, ou encore des conduites addictives pour tenter d’apaiser leur souffrance.
Chez les enfants : des séquelles physiques, psychiques et sociales
Autre drame peu mis en lumière : celui des enfants témoins ou victimes directes de cette violence. On estime qu’en France, 143 000 mineurs sont concernés chaque année.[4] Or, voir sa mère violentée ou subir soi-même des violences de la part de son père ont des conséquences absolument désastreuses sur le développement et l’équilibre des enfants.
Zoom sur quelques conséquences typiques chez l’enfant
- Troubles psychiques : anxiété, troubles du sommeil, cauchemars, troubles de l’alimentation, dépression, idées suicidaires…
- Troubles du comportement : agressivité, violence, toxico-dépendance, délinquance, fugues…
- Difficultés scolaires : échec scolaire, absentéisme, manque de concentration…
- Difficultés sociales : repli sur soi, inhibition,isolement, incivilités, radicalisation…
Ces troubles, parfois durables, handicapent lourdement ces enfants dans leur vie future. Et perpétuent le cycle de la violence, les garçons reproduisant plus tard le schéma conjugal violent de leur père.
Sur le plan sociétal : des coûts humains et économiques énormes
Enfin, l’impact de ces violences dépasse largement le cadre privé et familial. Sur le plan collectif, ce sont des centaines de milliers de vies brisées. Avec, à la clé, d’importants coûts économiques et sociaux : prise en charge médicale ou psychologique des victimes, programmes de réinsertion, places d’hébergement d’urgence, mesures judiciaires, etc.
Le coût annuel de la violence conjugale en France est estimé à :
- 3,6 milliards d’euros pour l’aide sociale à l’enfance
- 1,milliard d’euros pour les forces de l’ordre
- 665 millions d’euros pour la justice
- 559 millions d’euros pour le système de santé
Soit un total de près de 7 milliards d’euros par an, sans compter les coûts indirects en termes de souffrance humaine, de sous-productivité économique ou de déstructuration sociale.[5]
Face à ce constat accablant, une prise de conscience collective et des politiques publiques ambitieuses sont plus que jamais nécessaires pour enrayer ce fléau.
Le profil type de l’homme violent
Derrière chaque femme violentée se cache un homme violent. Mais qui sont ces hommes ? Des études récentes ont permis d’esquisser quelques profils types.
Trois grands profils ressortent :
- Le pervers narcissique : égocentrique, manipulateur et séducteur. La violence est pour lui un moyen de contrôle et un exutoire à sa frustration.
- Le dysrégulé psychotraumatisé : impulsif et instable, avec des antécédents de maltraitance. La violence est une décharge pulsionnelle incontrôlée.
- Le dépendant anxieux : possessive, avec une faible estime de lui. La violence surgit quand il se sent abandonné par sa compagne.
Mais des formes de violence différentes existent aussi selon le milieu social.
On distingue :
- Dans les milieux précaires : des violences physiques et psychologiques « ordinaires » liées à la misère sociale
- Dans les classes moyennes et aisées : des violences plus insidieuses (harcèlement, emprise psychologique) en réaction à une séparation
Quel que soit leur profil, ces hommes ont en commun des rapports de domination vis-à-vis des femmes, une absence d’empathie et une propension à recourir à la violence pour résoudre les conflits.
Les différents visages de la violence conjugale
La violence au sein du couple peut prendre différentes formes, pas toujours facilement identifiables.
On distingue classiquement :
- Les violences physiques : coups, blessures, bousculades, séquestrations, meurtres…
- Les violences psychologiques : dénigrement, chantage affectif, menaces, harcèlement, humiliation, contrôle excessif…
- Les violences sexuelles : rapports sexuels forcés, pratiques imposées, viol conjugal…
- Les violences économiques : privation ou contrôle des ressources financières, interdiction de travailler…
Ces violences s’inscrivent le plus souvent dans un cycle, avec une alternance de phases de tensions, d’explosions violentes et de rémissions. L’emprise sur la victime se renforce avec la répétition des cycles, conduisant à une sorte d’étouffement psychique.
Comment dépister et prendre en charge les victimes ?
Les professionnels de santé ont un rôle essentiel à jouer dans le repérage et la prise en charge des femmes victimes. Mais cela passe par une véritable sensibilisation à cette problématique encore trop méconnue.
Quelques conseils clés :
- Ne pas hésiter à poser directement des questions sur d’éventuelles violences
- Faire preuve d’empathie et de non-jugement
- Orienter vers des services spécialisés (associations, psychologues, assistantes sociales…)
- Rédiger des certificats médicaux détaillés pour appuyer d’éventuelles procédures judiciaires
- Assurer un suivi attentif dans la durée de ces patientes fragilisées
Vers une meilleure prise en charge des auteurs de violences
Last but not least, la prise en charge des auteurs de violence est un enjeu fondamental de prévention. Depuis 2020, des centres dédiés ont été mis en place pour assurer un suivi global de ces hommes : soutien psychologique, aide à la réinsertion, thérapies de groupe, etc. L’objectif est de les aider à comprendre l’origine de leurs actes, à modifier leurs comportements et à prévenir la récidive, dans une démarche de responsabilisation.
Car pour enrayer le fléau des violences conjugales, agir uniquement en aval, sur les conséquences, ne suffit pas. Il faut remonter à la source du problème, au coeur même de la machination des violences.
[1] Enquête Cadre de vie et sécurité, Insee-ONDRP 2020
[2] Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple, 2019
[3] Mission interministérielle pour la protection des femmes, 2021
[4] Fondation Scelles, 2022
[5] Conseil économique social et environnemental, 2018