Ce 25/01/2021, voici quelques considérations missiologiques, le témoignage, l'expérience pastorale d'un homme de terrain, Mimmo Arena, missionnaire oblat de Marie Immaculée. Il invite l'utilisateur de la toile à lire sa pensée dans le sillage de grandes rencontres de prière et de paix initiées par Jean-Paul II dans la paisible ville de saint François d’Assise, en Italie. Que se passe-t-il en Afrique?
Ce retour à Nostra Aetate me semblait opportun dans la mesure où ce document a guidé, même si c'est de manière souvent implicite, mon expérience de dialogue et aussi pour comprendre les tenants et les aboutissants du dialogue interreligieux en Afrique, surtout avec l'Islam.
En effet, seul un enracinement de la réalité du dialogue en humus théologique peut donner force à tous pour faire face aux découragements, sinon aux résistances, que souvent les chrétiens, mais aussi peut-être les musulmans, éprouvent à son égard.
Je vous avoue que, quand j'ai reçu l'invitation d'intervenir à ce colloque, ma pensée s'est portée immédiatement sur les problèmes que le dialogue rencontre face à l'Islam et qui sont manifestes. Il y a de problèmes délicats d'intégration (voir le cas de la Turquie et tout dernièrement celui des quartiers périphériques des villes de France et d'Europe); problèmes dus à toute sorte de différences, liées non seulement au credo, mais à la mentalité, au style de vie, au comportement que nous constatons tous les jours au contact avec l'Islam et qui sont là pour nous tenter à nous faire dire que le dialogue est impossible. Les conflits armés sont là aussi, conflits qui mêlent l'ethnocentrisme à la religion (Nigeria, Soudan, Bosnie, Philippines…). Et, dernièrement, il faut tenir compte du terrorisme de nature religieuse, qui, allumé par le fondamental droit économique de partage des ressource de la terre, continue à faire des victimes à cause de la religion, mais aussi parce que d'un coté comme de l'autre on n'accepte pas de dialoguer. La suite c'est l'agressivité et la haine qui risquent de s'attiser et grandir dans les conscience des adeptes des deux religions. Or, seulement un dialogue, justifié et même légitimé par leurs religions, nous fait espérer qu'un jour les chrétiens et les musulmans seront en mesure de vivre unis et de travailler ensemble pour le bien de l'humanité, en Afrique et dans le monde entier.
Venant à l'Afrique, si, pour un vers, l'Islam s'y présente plus tolérant, tout de même la difficulté d'un rapport serein entre les deux groupes de croyants subsiste réellement. Elle se manifeste de manière aigue surtout au niveau de l'action missionnaire, car, dans ce domaine, chrétiens et musulmans se découvrent de plus en plus concourants1.
Alors, il nous faut un surplus de souffle spirituel que la vision théologique du dialogue contenue en Nostra Aetate peut nous transmettre, nous permettant de résister à tout découragement et aussi à tout esprit d'imposition de la religion au dépens de la liberté religieuse de tout homme.
Dans ce sens, les textes de la Déclaration , relatifs au dialogue avec l'Islam peuvent aider les chrétiens et les musulmans d'Afrique à ne pas démordre dans la recherche d'une rencontre heureuse pour eux et pour leur continent:
L'Eglise regarde aussi avec estime les musulmans qui adorent le Dieu Un, vivant et subsistant, miséricordieux et tout puissant, créateur du ciel et de la terre, qui a parlé aux hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s'ils sont cachés, comme s'est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi islamique se réfère volontiers. Bien qu'ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète, ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même l'invoquent avec piété. De plus, ils attendent le jour du jugement où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu par la prière, l'aumône et le jeune(NA3).
Ces textes, comme l'avait fait Lumen Gentium (16), nous fait saisir tous les points d'attache qui rapprochent les deux religions, en nous éduquant à regarder dans la religion de l'autre ce qui nous unit plutôt que ce qui peut nous diviser. Si cette attitude ne s'enracine pas dans nos vies, en évitant évidemment l'irénisme et le compromis, dialoguer devient impossible.
Mais, étant donné que l'histoire a joué contre une rencontre sereine entre les deux religions, la Déclaration ajoute:
Si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s'efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu'à protéger et à promouvoir ensemble pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté (NA3).
Les Pères conciliaires sont conscients, comme nous d'ailleurs, que les relations entre l'Islam et le Christianisme sont problématiques, mais ils nous invitent à ne pas lâcher prise parce que dans le dépassement commun que chrétiens et musulmans sont appelés à opérer réside l'espérance de changer le visage de l'humanité. Ici, chrétiens et musulmans, à cause de leur passé indigne des deux religions qu'ils professent, sont tenus à prendre conscience de leur commune responsabilité face à l'avenir du monde. Son progrès ou sa faillite dépend aussi de l'unité par le dialogue qu'ils arriveront à construire, ou à ne pas construire, entre eux. Cela vaut pour les deux communautés religieuses dans le monde, mais peut-être davantage pour l'Afrique.
Toujours est-il que l'Eglise du continent est intervenue à maintes reprises pour demander au peuple de Dieu à se mettre en attitude de dialogue envers l'Islam. Mais cela avait été déjà fait à l'occasion des voyages en Afrique de Paul VI, fondateur du dialogue par l'Encyclique Ecclesiam Suam(2), et de Jean-Paul II, son premier efficace propulseur(3). Sous leur égide, les différentes Conférences Episcopales d'Afrique, qui surtout en Afrique de l'Ouest s'équiperont de commissions pour mener de l'avant le dialogue islamo-chrétien, ne manqueront de propulser le dialogue, ainsi que les interventions des certains évêques qui ont plus a cœur le dialogue(4).
Cependant, la prise de position sur le dialogue, plus autoritaire et généralisée, semble être celle contenue dans l'exhortation apostolique Ecclesia in Africa (EA), là où, en consonance évidente et en continuité avec Nostra Aetate, on lit: «L'attitude du dialogue est un mode d'être du chrétien à l'intérieur de sa communauté comme avec les autres croyants, et les hommes et les femmes de bonne volonté » (EA 65)
Ici, l'Eglise d'Afrique, en phase avec la teneur théologique que Nostra Aetate donne au dialogue, retient que celui-ci est une façon d'être valable pour tout baptisé (laïcs, religieux, clercs et évêques); partout (à chaque palier de l'organisation communautaire); avec tous (catholiques, chrétiens d'autres confessions, croyants d'autres religions, hommes et femmes de bonne volonté, soient-ils non croyants); et toujours (dans toutes les circonstances de la vie quotidienne). De ce fait Ecclesia in Africa recommande au S.C .E.A.M. de se donner ‘des structures et des moyens qui garantissent l'exercice du dialogue '(cf. EA 66)
Tout de même, la prise de position en faveur du dialogue, mieux en syntonie avec Nostra Aetate, nous la trouvons dans le message des évêques participant au Synode Spécial pour l'Afrique. Ici le dialogue est en rapport de réciprocité avec l'idée de l'Eglise- famille et avec la Trinité : «L'Eglise-famille a sa source dans la Sainte-Trinité , au sein de laquelle l'Esprit-Saint est la Relation de Communion. Elle sait que la qualité de relation que permet une communauté est l'expression de sa valeur intrinsèque. Ce Synode lance un appel pressant en faveur du dialogue à l'intérieur de l'Eglise et entre les religions»(5).
Pour ce qui est du dialogue avec les musulmans, l'exhortation et le message s'allient pour dire: "Cet effort de dialogue se doit d'embrasser également les musulmans de bonne volonté. Les chrétiens ne sauraient oublier que beaucoup de musulmans entendent imiter la foi d'Abraham et vivre les exigences du Décalogue ». Et cela: en reconnaissant Dieu comme ‘le Père de la Grande Famille humaine que nous formons '"; dans le respect des croyances respectives; en vue de travailler ensemble pour le développement et la paix; créant, enfin, un climat de vraie liberté religieuse et de sincérité (cf. EA 66)(6).
Remarquons que les interventions du magistère africain sur le dialogue sont souvent rattachées à l'intuition centrale du Synode de 2004, à savoir l'Eglise-famille. Or, cette intuition, pouvant être comme la version africaine de l'Eglise communion(7), peut témoigner que l'Eglise d'Afrique a fait bonne réception des contenus théologiques du dialogue propres à Nostra Aetate.
Quant aux statistiques, l'exposé de Mgr Chidi nous en donne suffisamment. Il parait que les deux religions en question numériquement sont à pieds d'égalité(8). Comme complément, on peut ajouter ce qui suit:
Il y a une différence de fond entre l'Afrique du nord arabe avec 10% de sa minorité chrétienne, et l'Afrique noire au sud du Sahara avec sa majorité chrétienne de près de 60% et seulement 25% de musulmans. Au sud du Sahara, les deux tiers des musulmans vivent en Afrique de l'Ouest, tandis que ceux d'Afrique du Centre, de l'Est et du Sud ne comptent même pas pour 10% constituant une minorité semblable à celle des chrétiens en Afrique du Nord»(9).
Voici maintenant une brève description surtout de l'Islam d'Afrique Noire.
Il est notoire que l'Islam, répandu en Afrique du nord, tout de suite après sa fondation par le prophète Mahomet, conquiert son espace en Afrique Noire à partir de deux souches: celle nord occidentale qui a pénétré en Afrique de l'Ouest par le Sahara et celui déferlant de l'Egypte et du Moyen Orient et s'installant dans l'Afrique de l'Est. De nos jours il arrive de chaque coté d'où vient l'émigration des croyants de l'Islam, un cas particulier étant celui du retour des Black Muslims d'Amérique du Nord, au cri de «L'Afrique aux Africains»(10), dans des pays comme le Liberia.
La diffusion de l'Islam en Afrique Noire utilisait le commerce et les jihads (sourtout à l'ouest). Une fois arrivé sur place il prenait des caractéristiques spécifiques. En rencontrant un substrat animiste et magique il a affiché une allure maraboutique qui le déprécie aux yeux de l'orthodoxie musulmane. Un Islam qui politiquement ne s'est pas trop investi dans le processus des indépendances nationales et qu'il n'a pas trop sympathisé avec le communisme. Il reste un Islam ouvert à la modernité et d'aucuns le considèrent comme une idéologie de rechange. Actif de différentes façons selon les contextes nationaux. «L'Islam d'Afrique Noire, longtemps considéré comme de seconde zone, est en train de devenir l'un des p ô les de la scène islamique mondiale»(11).
Quant aux traces laissées par l'histoire, il est évident que tout tournant historique a marqué les relations que les croyants de deux religions vivent aujourd'hui: l'expansion arabe aux premiers jours de l'Islam, au nord de l'Afrique; l'antagonisme et la concurrence dans la propagande religieuse à partir des voyages des navigateurs portugais au XV siècle; les vicissitudes tragiques et dévastatrices de l'esclavage, l'impartialité et l'imposition du colonialisme; l'ère de l'engagement national des indépendances; et, enfin, le néocolonialisme et la globalisation du moment(12).
Dans ce cadre, ce qui donne à réfléchir c'est le fait que la reprise de la mission d'évangélisation de l'Eglise catholique, ainsi que une nouvelle connaissance du continent africain, intervient grâce aux relations troublées que les chrétiens d'Ethiopie vivaient avec les musulmans d'Egypte. C'est à ce moment, à partir de 1498, que, pour trouver une autre voie en vue d'aller au secours des chrétiens d'Ethiopie du fameux Prêtre Jean, le Portugal, avec ses navigateurs et ses religieux, donne lieu à la reprise de l'action évangélisatrice sur les côtes d'Afrique, celles du Congo comprises(13) .
Mais qu'est-ce qui faciliterait les rapports entre chrétiens et musulmans en Afrique? Sur ce Continent, en général, comme on disait, ils sont bons, même si dans certains pays, comme le Nigeria et le Soudan, l'hostilité réapparaît habillée de luttes ethniques.
Tout en constatant le fait que l'Islam en Afrique se présente tolérant, il convient de souligner que la culture même de l'Afrique peut faciliter l'effort du dialogue interreligieux.
En effet, comme je le disais aux Premières Journées Philosophiques de Kaggwa, l'Afrique est, d'une certaine façon, prédisposée au dialogue grâce à sa propre culture. Son noyau dynamique demeure ce que certains, comme Léopold Senghor, Vincent Mulago, Hampate BA, appellent indifféremment esprit de famille, esprit de communion, sens communautaire, solidarité, hospitalité, convivialité, sentiment d'unité et de participation(14). Ces différentes appellations indiquent un ensemble qui constitue pour beaucoup comme une pierre d'attente, ainsi que de choix, pour l'annonce de l'Evangile et, j'ajoute, pour le dialogue.
L'esprit de communion, propre à la culture africaine; le point de vue du peuple de Dieu d'Afrique qui à conscience de former une Eglise Famille de Dieu, donc une communion enrichie et mieux exprimée par les valeurs propres aux attitudes et aux sentiments de la famille africaine, sont deux chances certaines pour un dialogue heureux avec tous les humains, musulmans compris. La communion par le dialogue, comme celle de la Trinité et de l'Eglise, n'importe où elle est pratiquée, est toujours la possibilité de l'harmonisation de toutes différences, de tout ce qui peut diviser les humains, même les religions. L'Afrique en possède les atouts
Dans ce cadre, je signale deux faits dignes de note et significatif et une réalité qui fait espérer.
Le premier a égard à la naissance du phénomène du dialogue. On peut constater que les premières tentatives de dialogue ont eu lieu en Afrique et ont trouvé aussi dans ce continent de la continuité jusqu'à nos jours. Par un parcours historique qui date de Saint François d'Assise, dans son souci de rencontrer le sultan d'Egypte Al Malik al Kamil, au XII siècle; en passant par la présence, en Afrique du Nord, de plusieurs Ordres et Congrégations religieuses; pour arriver aux Pères et Sœurs Blanc(he)s, ainsi qu'au Bienheureux Charles de Foucauld et ses familles religieuses, nous savons que le zèle de la rencontre avec les musulmans n'est s'est jamais éteint, malgré les résistances et les martyrs(15).
Le deuxième fait significatif concerne la promotion du dialogue au niveau de l'Eglise universelle. Il semble que l'hantise pour le dialogue qui a pris corps à Vatican II, a mûri et a était provoquée par le vécu et la réflexions des Eglises d'Afrique du Nord.
Mais c'est qui est plus significatif encore est d'apprendre que les Eglises du Maghreb par leurs délégués, ont eu un rôle décisif pour la rédaction des textes de Nostra Aetateet pour la fondation du secrétariat pour le dialogue, devenue par après Pontificium Consilium pro Dialogo Inter Religiones(16).
Quant à la réalité qui fait espérer dans un futur de dialogue, ça concerne l'Afrique du Sud ressemblant, comme on sait, à l'arc-en-ciel à cause du mélange plutôt heureux des races et des religions qui se côtoient. Ici, peuples divers, quant à culture, religion et provenance, arrivent à cohabiter et à procurer à leur nation et à eux-mêmes un bon niveau de vie. Semblant avoir dépassé avec succès l'épreuve terrible de l'apartheid, elle peut être un signe d'espérance et, si les choses continuent ainsi, à l'avenir elle peut même devenir model pour l'Afrique en matière de dialogue.
Tout compte fait, chrétiens et musulmans dans une Afrique dont la culture est prédisposée au dialogue, se combattent, mais s'attirent réciproquement. Cela est-il le signe que leur destinée est de cohabiter ensemble en se tenant étant unis pour le bien de ce continent? L'esprit de dialogue est là pour les stimuler à y avancer et il y a de ceux qui préconisent le dialogue comme le passage obligatoire pour une renaissance de leur pays et de l'Afrique tout entière(17).
Dans les années quatre-vingts et depuis Nostra Aetate, l'idée du dialogue avait fait sa route même en Afrique, cependant, sur le terrain, pas tous les missionnaires l'avaient intériorisé, il y avait même de ceux qui étaient opposés, se sentant menacés.
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